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Par Rafael de Tours, contact blog: atelier rafael (de tours), Facebook, site

 

1 LES SOLVANTS, ADDITIFS A PEINDRE

 

La peinture à l’huile, succédant aux liants à l’œuf ou à base aqueuse, (peinture à la colle), fut la voie royale dans l’ordre de l’avènement des grandes œuvres de l’humanité renaissante.

Elle fut aussi le vecteur et l’auxiliaire des grandes révolutions.

L’expression contemporaine quant  à elle, ses nouvelles modalités moins historiques mais plus humaines, a désacralisé l’usage de l’huile ; ou tend à le faire. La démocratisation du produit - de l’idée véhiculée par le produit- a apporté son lot de satisfactions sur une grande échelle. Elle a aussi engendré de nouvelles attentes. Les attentes du consommateur occidental pressé...

Mais là n’est pas notre propos.

Force nous est de constater la fuite du métier du peintre. Entendons par là la perte de la connaissance du métier du peintre qui extirpait de l’huile rebelle ses plus beaux effets, ses plus belles matières, toute une palette de transparence, d’émail et de lumière.

Combien sont-ils aujourd’hui ceux qui ne peuvent plus faire de leur huile qu’une mauvaise mayonnaise ? Ils sont légions... De là les remarquables succès des liants vinyliques et acryliques, et sans doute prochainement de l’huile diluable à l’eau...

Combien sont-ils ceux qui s’interrogent, à bon droit, sur l’intérêt de trouver encore sur le marché plusieurs essences, huiles, mediums oléo-résineux, vernis, plutôt qu’un produit unique remplaçant la variété et l’embarras qu’elle suscite ? Une fois encore, ils sont légions.

 

S’il y a effectivement une multitude de langages possibles sur l’oeuvre finie, et si la peinture se parle communément de façon poétique, si elle se tient des discours qui la ravissent et mettent de la distance entre le perçu et le percevant, en revanche, il n’y a qu’une manière de parler de la peinture à l’huile “ se faisant ”, et elle est technique. Technique, car les potentialités du produit l’exigent. Technique au sens universel : poly-technique, pluri-technique ; à chacun selon ses besoins, selon ses goûts, selon l’effet recherché et selon les contraintes de l’huile qui sait toujours, le moment venu, se remettre dans notre mémoire.

Technique. Technique libératrice. Liberté d’inspiration et d’exécution. Distance. Discours. Il fallait le dire. Il faudrait y revenir et expliquer... En effet, les inexpérimentés se croient souvent contraints de faire le choix entre technique et liberté. Ce choix n’a pas d’existence propre, sauf s’ils pensent que le mot technique signifie “ une façon de dessiner “, “ une façon de peindre “, une façon de penser, un académisme... Pour notre part nous l’entendrons comme la maîtrise physique d’un objet aboutissant à la libération de ses contraintes matérielles, et se faisant, à notre libération propre. Cet adage “ gras sur maigre “, même s’il n’est que la partie saillante de l’iceberg technique, le connaître c’est bien. Le comprendre c’est mieux. Mais à terme guère suffisant.

 

Parmi les adjuvants de la peinture à l’huile nous distinguerons trois familles principales :

Les solvants / les diluants / les vernis.

Si la famille des vernis peut sembler claire à tout le monde, il n’en va pas de même des deux premières.

Qu’est-ce qu’un solvant par rapport à un diluant ? Nous simplifierons.

Le solvant met en solution un produit de nature différente, en apportant une modification de la chaîne moléculaire de celui-ci; modification qui peut avoir le caractère d’une irréversibilité relative à plusieurs degrés.

Le diluant quant à lui allonge un produit de nature identique, ou de nature semblable si le produit contient une part du diluant, sans altération, ni modification de sa structure.

Les essences donc sont des solvants, et les huiles des diluants. Par ailleurs les essences sont les solvants des huiles. Relation à sens unique, car les huiles ne sont pas les diluants des essences. A titre d’exemple, un medium à peindre sous forme liquide composé à la base d’une huile et d’une résine naturelle, ou de synthèse, contiendra toujours une essence, car les essences sont aussi les solvants de certaines résines, (dammar, mastic, acrylo-cétonique, certains copals sous réserve...).

A une différence de nature entre solvant et diluant s’ajoute bien entendu une différence de fonction dans la peinture. Les solvants sèchent à l’air libre. Ils s’évaporent dans l’atmosphère. Ils ne laissent, en théorie, aucune trace sur la toile. Après leur évaporation, ne subsiste que la couleur amaigrie, matifiée.

Les diluants par contre ne sèchent pas : ils durcissent. C’est le processus de réticulation et d’oxydation des huiles. Nous reviendrons sur cet intéressant phénomène dans l’article sur les diluants, où nous aborderons également le problème des résines en solution et des siccatifs. Pour le moment nous avons d’un côté des essences qui s’évaporent, et ne concourent pas, pour ainsi dire, à l’esthétique générale de l’oeuvre, ou alors qui y participent par leur absence - c’est une question de point de vue parfaitement libre - de l’autre côté nous avons des diluants dont la vocation est d’enrober les molécules de couleur dans une gangue d’huile, et de résine le cas échéant, de leur conférer ainsi brillance, fixité accrue à la lumière et élasticité. Cette importante différence de nature et de fonction justifie l’ordre chronologique dans lequel ces familles de produits, dans la pratique, sont utilisées : en effet appliquer une couche de couleur fluidifiée à l’essence sur une couche de couleur nourrie à l’huile aurait pour effet quasi immédiat de remettre en solution cette dernière couche. Cela s’appelle détremper les dessous. Nous trouvons alors ici la justification de l’adage “ peindre gras sur maigre “ : peindre maigre pour favoriser l’accroche des couches de couleur successives; puis peindre gras, progressivement, en éliminant l’apport d’essence à mesure que le travail avance, pour donner de l’éclat, de la solidité, de la souplesse à la composition.

 

LES SOLVANTS

 

La famille des solvants se subdivise en deux sous familles. Les essences végétales d’une part, les essences minérales d’autre part. Les essences végétales s’obtiennent par la distillation de résines, ou de sommités fleuries. Les essences minérales, qui sont issues de la chimie du pétrole, sont produites par la distillation du pétrole brut, à une température allant de 45°Cà plus de 280°C, selon la densité et la volatilité du fluide recherché. Si la Tradition du métier atteste de longue date la connaissance et l’utilisation des essences végétales, il semble que les essences de pétrole soient connues depuis l’Antiquité tardive, et utilisées de temps à autre depuis la Renaissance Italienne, ( olio di petra ) , jusque dans les Flandres du XVII ème siècle - Rubens :”...l’huile de pétrole, s’évanouissant, ne peut endurer l’eau...”- et ce, non seulement comme appoint des essences végétales en tant que solvant des résines entrant dans la constitution des vernis, ( Tripier-Devaux : Traité de l’art de faire des vernis- Paris- 1790 ), mais aussi pures pour l’ébauche et la conduite générale de l’oeuvre. Rubens toujours, après Cennini et l’historien Vasari, entre autres sources, attesta l’emploi  d’une “ huyle essentielle de pétrole “.Si comme nous venons de le voir la fonction de ces essences est identique, à savoir fluidifier en l’amaigrissant la pâte huileuse, favoriser son accroche en augmentant son pouvoir de pénétration dans la préparation du support, nous notons tout de même certaines différences de comportement non négligeables entre ces deux sous-familles.

La sous-famille des essences végétales, fruit de la distillation d’une résine, conserve le souvenir de son origine : en effet, ces essences s’oxydent au contact de l’air. Cette oxydation prend la forme d’une résinification à l’intérieur du liquide. Cette résinification va faire “ graisser “ l’essence qui perdra de la sorte de sa volatilité : une essence végétale oxydée, “ graissante “, est dangereuse pour la stabilité de l’oeuvre dans le temps, car les traces en phase de résinification ne sèchent jamais, demeurent instables, mobiles, poissantes. Connaître ces particularités des essences végétales permet de se prémunir contre leur défaut commun : ne pas laisser un flacon de ces essences ouvert; changer de flacon au fur et à mesure de l’utilisation ( flacons de plus en plus petits ); conserver à l’abri de la lumière; jeter le contenu du godet en fin de séance; contrôler de temps à autre la volatilité du liquide en en déposant une goutte sur une feuille de papier buvard, ou à cigarette, et en vérifiant, passé 24 heures, l’absence de tâche, d’auréole, garantissant ainsi la fraîcheur relative du produit.

En revanche, les essences de pétrole se conservent indéfiniment, sans s’oxyder, sans résinifier. Leur qualité, une grande volatilité, serait dans certains cas leur principal défaut. Il existe sur le marché plusieurs essences de pétrole de diverses densités : une essence lourde se rapprochera, par son travail, des essences végétales; un pétrole léger, fulgurant, s’en éloignera en liquéfiant littéralement la pâte colorée... N’oublions pas que ce qui représente une qualité pour les uns, peut s’avérer être un lourd défaut pour les autres. Notre but se limitant ici à expliquer et à décrire les produits existants, nous ne saurions trop conseiller au praticien débutant d’en tester quelques uns issus des deux sous-familles végétale et minérale pour en ressentir les effets dans ses mélanges.

Ces solvants s’utilisent en mélange à la pâte sur la palette pour l’ébauche, et se tirent sur la toile par trempage du pinceau ou de la brosse dans un godet. Il faut prendre garde de ne pas noyer la couleur dans le solvant au niveau du mélange sur la palette, le risque de voir la couleur ruisseler sur la toile serait grand. Au besoin, ajoutez une goutte d’huile de lin pour trois gouttes d’essence pour l’équivalent d’un capuchon de couleur. Cela donnera du corps au jus. Vassiliev Kougaryne et X de Langlais, conseillent d’utiliser à l’ébauche une solution constituée du medium huile-résine prévu pour l’exécution de l’oeuvre, amaigri de 50% de son volume d’essence, ( de préférence la même essence présente dans le medium huile-résine ). Ici, à nouveau, le choix d’une essence pure pour l’ébauche, ou plutôt d’une essence coupant à 50% un medium oléo-résineux, et donc le choix de ce medium, ou d’une huile pure, appartient au praticien. Ce choix dépend de ses goûts, de sa formation, de ses recherches personnelles... Seules comptent ici les règles de mise en œuvre engageant le travail dans la durée et la stabilité de l’état fini.

 

 

Ceci étant posé, il nous reste à établir la nomenclature. des solvants. Commençons par les essences végétales :

La première, la plus répandue, la plus vantée aussi, est l’essence de térébenthine de Bordeaux, ou térébenthine Française. Nous la trouvons généralement sous l’appellation « d’essence de térébenthine rectifiée «. Essence fameuse, décrite dans les anciens manuels comme aussi limpide qu’une eau de source, “ moins odorante que la térébenthine Russe, ou Allemande, et de bien meilleure qualité “ ( V. Kougaryne ), au pouvoir dispersant élevé, d’une volatilité parfaite lorsqu’elle est fraîche -   comme nous l’avons précédemment expliqué - elle est tirée de la sève du pin maritime, du pin des Landes, du pin des Vosges, de la frange orientale de la France. Cette sève est distillée dans un alambic : fondue et additionnée d’eau on la chauffe à 30°C. Les vapeurs produisent un premier esprit de térébenthine que l’on va distiller à nouveau; que l’on va “ rectifier “. Cette deuxième distillation est capitale, car elle séparera davantage encore l’essence obtenue de la matière résiduelle, la colophane. Cette colophane est un résidu résineux poissant ne séchant pas au contact de l’air : une essence de térébenthine oxydée, donc en phase de résinification, recrée en elle même la trame de la colophane dont on croyait l’avoir débarrassée par la double distillation. Une térébenthine en cours d’oxydation peut être de nouveau distillée; l’opération exigeant du matériel, du temps... et du savoir-faire. Les anciens maîtres connaissaient cet inconvénient et s’en jouaient.

V. Kougaryne, citant un texte de Turquet de Mayerne tiré du fonds Séguier de Saint. Petersburg, rappelle cette leçon fort ancienne, 1620 : “ l’huyle blanche de térébenthine doibt estre redistillée “. N’oublions pas davantage cette autre leçon qui nous vient de Léonard de Vinci en personne : d’un côté, dans le Traité de la peinture, il prend la peine de faire mention d’une “ térébenthine distillée deux fois “, afin d’éliminer la résine qu’elle contient ; de l’autre, cet incorrigible chercheur prend le risque énorme, et déclaré, à contre courant de l’excellente tradition Toscane, de modifier ses enduits préparatoires en leur incorporant...de la colophane ( !). Considérons la “ Bataille d’Anghiari “  de la salle du Conseil des Cinq cents au Palazzo Vecchio de Florence, perdue avant même d’avoir été achevée par son illustre créateur. Commandée à Léonard lors de son second séjour à Florence, (1503-1506), celui-ci alla, semble t-il, chercher la recette de son enduit dans la littérature classique, chez Pline l’Ancien en l’occurrence, (Historia Naturalis, livre 35). Cette recette, pourtant éprouvée par les fresques de Pompéi, il ressenti le besoin de la transformer ; mêlant au plâtre, à l’huile de lin et au blanc de plomb : de la colophane... L’enduit ne sécha pas à fond, et la fresque peinte à l’huile de noix, au baume de térébenthine de Venise et à la térébenthine ordinaire, selon une recette décrite dans son Codex Atlanticus, se perdit irrémédiablement en quelques mois.

Si vous envisagez la rectification d’une essence de térébenthine oxydée, rappelez-vous, d’après Coffignier, sa densité idéale : 0,870, son point d’inflammabilité : 39°C., son point d’ébullition : 155°C.

Nous connaissons d’autres essences de térébenthine dites de Strasbourg, de Chio, Anglaise, Américaine, Hollandaise, Russe, Allemande...Egalement valables pour certaines, d’autres sont plus des curiosités, comme la térébenthine de Chio exprimée du térébinthe, des essences au caractère exotique, que des produits à peindre techniquement fiables. Elles ont entre autre défaut une odeur plus désagréable, plus soutenue que la térébenthine Française ordinaire, déjà elle-même assez odoriférante : certaines personnes allergiques aux aromatiques des ces essences végétales, s’en séparent malheureusement pour ne plus utiliser que des essences minérales lourdes telles que les huiles essentielles de pétrole pratiquement inodores: un véritable soulagement pour nombre d’entre nous, et pour notre entourage ( ! ), mais délicates d’emploi en mélange avec certains mediums traditionnels. Nous y reviendrons plus loin.

Dans la même famille, avec une densité moyenne de 0,886, nous avons l’essence de lavande ordinaire, distillée à partir des sommités fleuries de la lavande femelle. Elle possède le même défaut que la térébenthine : elle s’oxyde à l’air et graisse progressivement. Elle est plus odorante. Appelée communément “ essence de lavande “, on la trouve aussi intitulée “ essence grasse “, donc en phase d’oxydation, et est dans ce cas réservée à la peinture sur porcelaine. On la remplacera avantageusement par sa “ contrepartie masculine, l’essence d’aspic “ (V.K.). Il arrive par ailleurs que certains fournisseurs appellent «  essence grasse «  une essence de térébenthine oxydée, (informez vous avant d’acheter).

L’essence d’aspic, d’une densité moyenne de 0,918, est un excellent solvant des résines naturelles et des huiles. C’est aussi un solvant complexe composé de camphre, d’une résine et d’éthers. Elle est très odorante. D’une évaporation plus lente que la térébenthine, parce que d’une densité plus élevée, au risque de détremper les couches sous -jacentes, elle apporte un élément malgré tout remarquable : elle plastifie la couche picturale. Ici la théorie du solvant volatil est battue en brèche : l’essence d’aspic fraîche et de bonne qualité, même si elle doit être cataloguée dans la sous-famille des solvants végétaux, participe à l’instar d’un diluant à l’esthétique de l’oeuvre. En effet, si la térébenthine tire la touche en l’amaigrissant, l’essence d’aspic lui donne du velouté avant de s’évaporer; la résine naturelle qu’elle contient agit comme un plastifiant. L‘essence d’aspic produite par distillation à la vapeur sur-chauffée des sommités fleuries de la lavande mâle, peut être dissoute dans l’alcool à 70°, et entrer ainsi dans la composition de certains vernis semi-gras complexes. Ses qualités la font participer à de nombreuses recettes anciennes et modernes de diluants visant, entre autre, à retrouver les propriétés du diluant secret des frères Van Eyck. Elle possède l’inconvénient de ses semblables : elle s’oxyde à l’air.

La térébenthine de Venise est un fluide à part. On l’obtient à l’état brut en perforant profondément le tronc du mélèze. De couleur brune en hiver, ambrée en été, elle a la consistance d’un sirop d’une densité très variable. Les vieux manuels indiquent deux utilisations possibles de la térébenthine de Venise :

1- Utilisée pure avec quelques gouttes d’essence de térébenthine.

2- Utilisée en mélange avec des huiles et des résines, composant alors des mediums à peindre, voire des vernis. Nous émettrons des réserves pour notre part concernant son emploi dans des vernis, car la térébenthine de Venise, si l’on n’a pas de garantie sur sa fraîcheur au moment du mélange, à tendance à cristalliser à plus ou moins longue échéance. Elle fragilise la couche picturale.

Nous la cataloguons dans les solvants, parce qu’elle est un solvant moyen des huiles et de certaines résines tendres d’une part, parce que distillée elle produit l’essence de térébenthine de Venise d’autre part. On la considère comme baume semi-diluant-semi-solvant à l’état brut, et comme solvant après distillation. On la trouve régulièrement associée, en petite quantité, à l’huile de lin, à l’essence d’aspic, à la résine mastic et à des sels métalliques dans plusieurs diluants liquides ou solides. Employée comme solvant à l’ébauche, vous lui ajouterez 50% de son volume d’essence végétale ou minérale, en évitant l’essence d’aspic qui allongerait inutilement le temps d’ouverture. Autrefois distribuée par la république indépendante de Venise, elle nous vient à présent de l’est de la France, de Suisse et de Hongrie. Le mélèze de Sibérie donnerait selon Kougaryne une térébenthine de “ Venise “ d’excellente tenue, plastifiante, garnissante au point de supprimer l’embus en cours de travail, et non cristallisante ( !). Elle s’utiliserait en mélange aux couleurs sur la palette, et en trempage du pinceau dans un godet... Nous ne l’avons pas testée.

 

Les essences minérales à peindre, dites essences de pétrole, ont des densités échelonnées de 0.740 à0.810. Certaines sont odorantes, d’autres, comme l’huile essentielle de pétrole lourd, parfaitement inodore chez certains fabriquants, ou presque chez d’autres. Leur volatilité est absolue; leur conservation indéfinie; un flacon laissé ouvert n’oxyde pas son contenu, simplement il l’évapore. En plus de ces deux pétroles à peindre, le premier étant plus léger (essence de pétrole), plus volatil que le second (huile essentielle), quelques peintres emploient le white spirit : il ‘agit d’un mélange de plusieurs essences au point d’évaporation voisin, et à la densité moyenne commune (0.760). On tiendra par ailleurs compte du fait qu’un “ white spirit sans odeur “ n’a pas le même mordant que son homologue “ avec odeur “; en effet ce dernier dissout des résines telles que le méthacrylate de butyle, alors que le premier les laisse intactes. De plus, le white spirit, essence “ fourre-tout “, amaigri tant les couleurs à l’huile de la peinture de chevalet, moins toniques que les “ huiles glycérophtaliques “ du bâtiment, qu’il aurait la tendance mainte fois attestée de les ternir : l’irréversibilité de la modification de la chaîne moléculaire de la couleur est ici totale. On laissera donc ce produit à la peinture de bâtiment pour laquelle, du reste, il avait initialement été conçu.

L’huile essentielle de pétrole, plus lourde (densité moyenne 0.810), confère à la pâte en cours de travail l’aspect d’une certaine onctuosité. Les peintres qui choisiront ce produit par obligation médicale (allergie aux aromatiques des essences végétales, de la térébenthine en particulier, ou de l’essence de pétrole commune, légère), ne devrons pas s’y tromper : cette onctuosité n’est que passagère; il s’agit bel et bien d’un solvant pur, ne contenant pas la moindre trace d’une quelconque résine plastifiante. La couleur durcie, “ sèche “, sera mate, maigre, et aura baissé de ton, (seule l’utilisation ultérieure d’un diluant enrichira la couleur en lui rendant tout son éclat)... Il faut le savoir avant, pour éviter les déceptions.

Il faut savoir également que l’adjonction de pétrole dans les vernis traditionnels, (dammar, mastic), peut avoir pour effet fâcheux de les précipiter : un excès de pétrole rend ces vernis définitivement troubles ! Ces résines dissoutes usuellement dans l’essence de térébenthine, ne supportent qu’une faible dose de pétrole, et sous certaines conditions de densité. Les vernis modernes aux résines acryliques et cétoniques supportent quant à eux très bien le pétrole puisqu’ils en sont constitués.

Le pétrole fluidifiera correctement toutes les huiles, et la plus grande partie des mediums actuels, y compris des mediums reprenant des recettes anciennes : Flamand, vénitien, Maroger. On fera tout de même attention à ces derniers, car ils contiennent de la résine mastic. Pour notre part, nous allongeons ces diluants, y compris le medium Maroger, au moyen d’huile essentielle de pétrole, à raison de 4 à 5 gouttes pour l’équivalent d’un capuchon de medium, (nous rappellerons que ces trois mediums ont la consistance d’une pâte relativement épaisse). A l’ébauche on prendra les mêmes précautions qu’avec les essences végétales pour éviter le ruissellement des couleurs sur la toile. A la différence près que le pétrole à un pouvoir de dispersion et de pénétration, dû à sa faible densité, plus élevé que les essences végétales. (Pétrole de 0.740 à 0.810 ; essences végétales de 0.870 à 0.918). Nous limiterons le jus à deux gouttes de pétrole pour deux gouttes d’huile crue, ou une goutte d’huile cuite pour un  capuchon de couleur.

Le pétrole permet également de nettoyer le matériel, en alternance avec le savon de Marseille, ou un bon liquide vaisselle. On évitera, contrairement à l’idée fort répandue, de nettoyer ses pinceaux à l’essence de térébenthine, compte tenu de la résine qu’elle contient, et qui contribue à  rendre cassants les poils et les soies de vos brosses.

Sans doute y aurait-il encore à dire sur l’utilisation pratique de la grande famille des solvants… Mais cela aurait pour effet de prendre pieds sur le terrain des familles voisines des diluants et des vernis, dont le traitement est réservé à une prochaine publication.

Pour être complet, nous terminerons cet article par deux solvants marginaux des deux sous familles étudiées  jusqu’ici : l’eau et l’alcool.

L’eau claire, sans la moindre trace de gras, agit comme solvant sous certaines conditions, et comme diluant sous d’autres : solvant des gommes arabiques, adragante… diluant de l’œuf. L’eau est aussi aujourd’hui le diluant de la peinture à l’huile émulsionnée, appelée   «  peinture à l’huile diluable à l’eau «. Nous y reviendrons la prochaine fois.

L’alcool est peu utilisé comme solvant à peindre. On le note toutefois dans des recettes de peinture à l’œuf, sous la forme de vinaigre d’alcool, et comme solvant de la peinture à l’huile lorsque celle-ci est diluée au moyen d’un medium à l’œuf, ou à la caséine solubilisée par l’ammoniaque. Cette peinture demeure, comme on l’a dit, assez marginale.

Enfin l’alcool distillé donnant l’éthanol agit dans le cadre d’une peinture au vernis, dont la résine, dans la recette moderne, est un acétate d’éthylglicol : marginale également, et complexe, parce que d’une retouche délicate, (fortes  possibilités de détremper les dessous).

 

 

En souhaitant ne pas avoir été trop long, (beaucoup restait encore à dire), nous espérons être parvenus au but fixé : éclaircir la nature des solvants, essences végétales et essences de pétrole, et leur fonction en adjuvant de la peinture à l’huile.

Si désormais votre choix d’une ou plusieurs essences se fait en toute connaissance de sa cause et de l’effet recherché, si la seule térébenthine, que vous achetiez plus par manque d’information sur le reste que par choix libre et délibéré vous apparaît sous un autre jour, si vous avez trouvé à la lecture de ce modeste article les renseignements susceptibles de transformer votre pâte, de transformer votre vision de votre pâte, de votre manière de la sentir et de l’amener à exprimer avec plus de précision les élans de votre inspiration : alors vous aurez fait la part de ce qui revient à la technique en tant que maîtrise du produit , et de ce qui revient à la liberté d’inspiration en tant qu’expression de l’âme. Le reste vous appartient

 

NICE, le 26 / 05 / 1998

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